Les chiffres font froid dans le dos : dans le bassin du lac Tchad, 1 adolescente sur 3 ne se sent pas en sécurité chez elle, 1 sur 5 a été battue au cours du mois précédent l’enquête, 1 sur 10 a été victime d’agression sexuelle…
Après ses rapports sur la situation des adolescentes au Bangladesh et au Soudan du Sud, Plan International renouvelle son engagement à écouter et à porter la voix des filles en situation de crise humanitaire. Les filles du bassin du lac Tchad sont au cœur du 3e rapport de l’ONG, Adolescentes en danger : Les voix du bassin du lac Tchad.
L’ONG Plan International place au cœur de sa stratégie d’urgence la voix des adolescentes victimes des conflits. Entre mars et mai 2018, 449 filles âgées de 10 à 19 ans ont été interrogées sur leurs conditions de vie au Nigeria, au Niger et au Cameroun. L’objectif ? Redonner leur voix à ces adolescentes, restituer leur quotidien et porter leurs recommandations en matière d’aide humanitaire d’urgence. Elles y témoignent aussi de leur espoir d’un avenir meilleur.
La peur au ventre
Dans le bassin du lac Tchad, la violence et la peur sont omniprésentes dans la vie des filles. Plus d’1 sur 3 ne se sent pas en sécurité chez elle et plus d’1 sur 5 a été battue au cours du mois précédent l’enquête. Dans 60 % des cas, cela s’est produit au sein du foyer. « Elles sont battues et violées. La plupart du temps, c’est l’oncle, le voisin ou la belle-mère de l’enfant. C’est ce qui se passe quand la fille n’a plus ses parents pour la protéger », révèle une adolescente de 17 ans dans le camp de Sayam, au sud-est du Niger.
Dans la région du lac Tchad, plus de 67 % des filles interrogées ont été séparées de leur père et près d’un tiers (30 %) de leurs 2 parents en raison de la crise.
Privées d’éducation
Depuis le début de la crise, nombreuses sont les filles qui ne se risquent plus à aller à école, de peur d’être enlevées ou agressées sur le chemin. Une adolescente de 16 ans vivant à Bahuli, à l’est du Nigeria, témoigne « Même sur le chemin de l’école, nous avons peur. » Près d’1 fille sur 10 (8,48 %), confie avoir été victime d’agression sexuelle pour le seul mois de février 2018. Près de la moitié de ces violences se sont déroulées sur une route et près d’un quart au sein de l’école.
Autre frein à l’éducation : les discriminations sexistes. Dans 25 % des cas de déscolarisation, le poids des tâches domestiques est en cause. Derniers responsables : les mariages précoces et forcés. L’âge moyen d’union pour une fille se situe désormais autour de 14-15 ans. Il coïncide avec celui de la fin de l’enseignement primaire. « L’école n’est pas importante pour les filles : elles vont finir mariées et rester à la maison », se résigne une mère de famille à Zarmari, au nord-est du Nigeria.
Mariées de force
Depuis le début de la crise, le nombre de mariages d’enfants a augmenté. Au Niger, la situation est particulièrement préoccupante : 3 filles sur 4 sont mariées avant d’avoir atteint 18 ans. Dans la région la plus fortement touchée, le Diffa (au sud-est du Niger), elles sont 89 %.Lorsqu’il s’agit de décider d’un mariage, les adolescentes n’ont pas leur mot à dire. Pour 2 filles sur 3, la décision revient au père ou à la mère. Une jeune de 17 ans domiciliée à Zarmari confirme : « Les parents marient les filles de force, car c’est la tradition ici. »
Pire encore, les victimes d’agressions sexuelles sont souvent unies de force à leur bourreau. « Ils l’ont mariée à son violeur », répète une autre fille de 17 ans (Njimtillo, au nord-est du Nigeria).
Des vies en danger
Au cours de l’année 2018, plus d’1 fille sur 2 (52,68 %) a déclaré avoir subi une blessure majeure ou contracté une grave maladie, comme le paludisme. Certaines personnes interrogées ont également mentionné, malgré ce tabou, que le VIH affectait également les adolescentes. Les grossesses précoces – dont plus d’1 fille sur 10 reste victime – constituent une autre menace dans une région qui affiche un taux de mortalité maternelle parmi les plus élevés au monde (773,4 / 100 000). Une adolescente de 17 ans (Njimtillo, Nigeria) résume : « À notre âge, l’accouchement est horriblement difficile. »
Famine
La violence des groupes armés dans le bassin du lac Tchad empêche l’accès à l’agriculture, rare source de revenus et moyen de subsistance. Conséquence directe : 62 % des filles interrogées se couchent régulièrement le ventre vide et 68,3 % s’inquiètent du manque de nourriture chez elles. Les aînées sont davantage touchées par la faim. Elles avouent sacrifier leur repas au profit de leurs frères et de leurs sœurs. « Parce qu’il y a peu de nourriture … ce ne sont que mes frères et mes sœurs cadets qui mangent. Ma grande sœur et moi devons faire preuve de patience et rester le ventre vide », raconte une adolescente de 18 ans domiciliée à Misheri, au nord-est du Nigeria.
Résilience
En dépit des nombreuses difficultés auxquelles elles font face, les filles restent courageuses et optimistes. L’origine de cette capacité de résilience ? L’éducation, véritable moteur de leur adaptation en temps de crise et élément essentiel à leur bien-être futur. Une fille de 13 ans (Bablin, à l’extrême-nord du Cameroun) se réjouit : « Mon plus grand accomplissement est de bien travailler à l’école et de passer aux niveaux supérieurs. »
Interrogées sur leurs besoins, les filles indiquent qu’elles souhaitent avant tout une aide humanitaire en matière d’accès à l’éducation et de prise en charge des frais de scolarité et des fournitures scolaires, comme le rapporte une jeune fille de 13 ans, dans le camp de Minawao à l’extrême-nord du Cameroun : « Ils doivent nous aider à aller à l’école et à trouver un peu d’argent. »
Sur le terrain, Plan International se mobilise pour répondre aux besoins des populations et en particulier à ceux des filles :
- 18 813 enfants (11 167 filles et 7 646 garçons) ont été inscrits dans des programmes d’éducation ou de formation
- 7 738 enfants (4 140 filles et 3 598 garçons) ont reçu du matériel scolaire
- 4 639 familles vulnérables ont été soutenues par le biais d’activités de développement économique
- 41 315 enfants (20 131 filles et 21 184 garçons) ont pu bénéficier des activités dispensées dans des espaces sûrs pour les enfants.
Les filles : premières victimes de la crise
Depuis 2009, la crise qui secoue le bassin du lac Tchad est l’une des situations d’urgence humanitaire les plus préoccupantes. Elle affecte le nord-est du Nigeria, l’extrême-nord du Cameroun, le sud-est du Niger et l’ouest du Tchad. Plus de 2,6 millions de personnes sont déplacées, dont la moitié d’enfants. Près de 11 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire.
C’est au Nigeria, en 2002, que le groupe islamique Boko Haram est apparu, revendiquant l’instauration d’un califat dans le nord du pays. Leurs combattants ont déjà tué plus de 20 000 personnes. En 2013, la crise s’est étendue vers les régions de l’ouest du Tchad, du nord du Cameroun et du sud-est du Niger. Les attaques n’épargnent pas les populations civiles qui se retrouvent, malgré elles, au cœur du conflit. Les femmes et les filles restent les premières victimes de Boko Haram, de groupes d’insurgés et des forces armées nationales.
Les adolescentes restent les plus vulnérables face aux dangers liés aux crises humanitaires : kidnapping, violences et abus sexuels, esclavage, déscolarisation massive… En situation de crise, les filles sont 2,5 plus à risque d’être déscolarisées que les garçons. Partout dans le monde, elles veulent faire entendre leur voix et leurs revendications ! Plan International les soutient.
Contact médias (données, photographies, interviews des équipes sur place…)
Julien Beauhaire / 01 84 87 03 52 / julien.beauhaire@plan-international.org